Les belles prises de Bamako
Série «Oil rich Niger delta», 2004, de Georges Osodi
REPORTAGE | 8 novembre 2011
Les belles prises de Bamako
Par BRIGITTE OLLIER Envoyée spéciale à Bamako Photo . Malgré une thématique floue, la 9e biennale du Mali révèle plusieurs talents.
Lézards, papillons et flonflons, le rituel d’ouverture des Rencontres de Bamako tient ses promesses, laissant toujours pantois, surtout quand l’orchestre national du Mali entame Auprès de ma blonde (Qu’il fait bon, fait bon, fait bon), en l’honneur de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication. Lequel se fait photographier par Cissé Mariam Kaïdama Sidibé, Première ministre du Mali, alors qu’à quelques pas d’elle, au deuxième rang des invités d’honneur, est assis Malick Sidibé, dans son légendaire boubou bleu, trésor national vivant entouré par ses fans.
«Diaphane». Entre jongleries diplomatiques et bienséances insolites, sous un soleil féroce, s’enracine la biennale africaine de la photographie, qui fête sa neuvième édition préparée, comme en 2009, par Laura Serani et Michket Krifa. «Un happening culturel», selon son délégué général, Samuel Sidibé, soulignant sa représentativité, vingt-sept pays, soit la moitié du continent. Le budget est de poids : plus d’un million d’euros, dont la majeure partie en provenance de l’Institut français et de l’Union européenne. Reste à régler, parmi d’autres questions, l’indépendance d’un festival encore peu implanté dans la capitale du Mali, plus préoccupée ces jours-ci par Tabaski, la fête du mouton, que par le thème de la biennale, qui sonne d’ailleurs ironiquement, tel un coucou suisse, «Pour un monde durable».
L’exposition phare au musée national, cœur du festival, réunit une cinquantaine d’artistes. Accrochage trop dense, aucune confrontation possible. Certains sélectionnés sont connus - Pieter Hugo qui a reçu le prix Seydou Keïta pour sa série sur le bidonville d’Agbogbloshie (Ghana) -, d’autres ont déjà présenté leur travail ici (Elise Fitte-Duval, Martinique, et ses nus qui défrisèrent quelques moralisateurs, en 1994). Quelle est l’idée ? Montrer comment, à travers leur diversité, s’accordent - ou se désaccordent - les preneurs d’images face à ce thème si vaste, «ce monde durable», alliance de politique, de business et d’esthétique. D’emblée, on note la suprématie de l’Afrique du Sud, comme d’habitude. Pieter Hugo, donc, mais aussi Daniel Naudé, et ses chiens-statues. Thandile Zwelibanzi, et ses vendeurs de rue à Johannesburg, poignants. Sabelo Mlangeni, en noir et blanc, dans le hors-champ de la Coupe du monde de football. Et la délicatesse «diaphane»,selon un connaisseur, de Lien Botha, mêlant, comme sur un éventail, les à-côtés d’un Eden mythique.
Hors l’Afrique du Sud et ses écoles de photo réputées, Ymane Fakhir (Maroc) et Bruno Hadjih (Algérie-France) frappent par leur naturel. La première, rassemblant son trousseau, torchons, perles, verres à thé, dévoile «la persistance d’un modèle, conditionnant cet enfant que j’étais à devenir une femme». Le second, avec ses tirages sensibles, aborde le vide tel l’équilibriste sur son fil : «Le désert, c’est d’abord une idée avant d’être un lieu géographique»,précise-t-il, racontant son Sahara avec des airs d’Ali Baba.
Brutalité. Autre duo attachant, Roberto Stephenson (Haïti), face au séisme du 12 janvier 2010, où il isole les tentes des rescapés, métamorphosées en voiles de bateaux ; et François-Xavier Gbré (Côte d’Ivoire-France), à l’aise dans les lieux oubliés, comme s’il y était chez lui. Joyeuse, la vidéo scrapbook du Camerounais Em’Kal Eyongakpa donne un air de fête à cette union panafricaine. Sur son vélo, un homme pédale, indifférent à l’eau qui monte derrière lui. Au mémorial Modibo Keïta, on est rattrapé par la brutalité de la réalité, avec George Osodi (Nigeria) et son work in progress,Old Rich Niger Delta. Osodi documente l’envers du décor du pétrole, son impact sur les habitants du delta, richesse pour quelques-uns, fléau pour tous les autres. Aucune différence visuelle entre une torchère de gaz Schell ou une torchère Agip, même flamme, même profit, même dégât. Osodi est un héritier de Gordon Parks, un militant inspiré, et la puissance de son témoignage ne fait aucun doute. Dernier temps fort des Rencontres, l’exposition de Nii Obodai (Ghana), à l’INA. Obodai crée des images entre jazz, pour l’improvisation, et poésie, pour l’abstraction. Il est heureux d’être à Bamako : «C’est une expérience qui permet de grandir. Mais nous avons besoin d’un lieu d’archives et d’un réseau qui lie les photographes entre deux biennales. Les autorités africaines doivent prendre cette décision.»
RENCONTRES DE BAMAKO Jusqu’au 1er janvier. Catalogue (42 euros). Rens. : www.rencontres-bamako.com